jueves, 4 de noviembre de 2010

La nature humaine est-elle immuable ?

Le livre « Le cercle des utopistes », écrit par notre camarade et ami Laurent Lansmans, compte bien démontrer que derrière les apparences démocratiques dont nous éblouit notre système se cachent de nombreux mécanismes de gouvernance cynique. Dans un monde où la fortune de 250 personnalités richissimes égale la richesse des 3 milliards d’humains les plus pauvres, où 30 000 personnes meurent de faim chaque jour alors que la production alimentaire mondiale pourrait nourrir 12 milliards d’individus, où les droits sociaux s’érodent même dans les pays les plus riches à cause de la politique d’usure que mène le système bancaire et qui n’en finit pas de pousser les États toujours plus près du gouffre financier, il va de soi que c’est le matérialisme le plus absolu qui règne et non la défense de valeurs telles que la justice ou la solidarité. Cette réalité suscite pourtant une indifférence scandaleuse au sein d’une population qui ne mesure pas l’étendue de son tort, car, comme l’a dit le philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau, « Qui croit devoir fermer les yeux sur quelque chose se voit bientôt forcé de les fermer sur tout ».


En élaborant son ouvrage, l’auteur espérait que ses écrits sauraient lui inspirer des contacts avec plusieurs personnes qui auraient témoigné un certain intérêt vis-à-vis de ses opinions dans le but éventuel d’entreprendre des projets communs, espoir passablement refroidi par la difficulté de diffuser de tels textes. Toujours est-il que le « cercle des utopistes », en tant que groupe réunissant les personnages du livre qui élaborent une série de réflexions au fil des pages, résulte de ce désir initial, dont l’expression s’observe à travers le prisme de la fiction. Qui plus est, le lecteur remarquera que c’est souvent de manière désabusée que l’auteur considère comme idéalistes les attentes de ces « utopistes » ; le monde dans lequel nous vivons semble à ce point figé que la seule revendication du progrès dans son sens le plus abstrait paraît extraordinaire.

« Le cercle des utopistes » entend condenser une vaste somme d’informations en rapport avec les thèmes abordés, de sorte à rendre l’ouvrage le plus instructif possible et à appuyer au mieux les propos de l’auteur, lorsque ceux-ci ne sont pas purement philosophiques. Cependant, au vu des difficultés d’élaboration d’une vue d’ensemble que pourrait rencontrer le lecteur à cause de la longueur de l’œuvre, il sera sans doute utile d’en synthétiser les idées centrales. Je vous propose donc un aperçu de la plupart des constats importants dressés dans ce livre, tous chapitres confondus.

Synthèse :

Dans sa globalité, l’être humain est fondamentalement mauvais, perpétuellement obsédé par son propre intérêt.

Le schéma de pensée qui discerne des bouleversements majeurs dans l’essence même du fonctionnement des sociétés est fallacieux à plus d’un titre. Au-delà des avancées évidentes qui ont été réalisées au cours de l’existence de notre civilisation occidentale en termes de richesses matérielles, de libertés individuelles et de nombreuses autres choses notables, force est de constater que le fond de l’Histoire reste toujours le même ; en définitive, le respect témoigné à l’égard des valeurs change bien peu au fil des époques, car les comportements des peuples comme de l’élite, derrière les apparences, demeurent immuablement conduits par les intérêts.

Si des changements considérables accompagnent la transition du keynésianisme vers le néolibéralisme et le passage de la monarchie à la République, le progrès humain est moins flagrant que les nombreuses mutations des formes qui travestissent les mécanismes universels et éternels du mensonge et de la domination sont changeantes, tandis que l’intensité de ces mêmes mécanismes dépend de l’assiduité de leur usage, diminuant ou augmentant selon que l’on se situe en une période lors de laquelle la civilisation prend le dessus sur la barbarie ou non.

Par exemple, le système de gestion de l’Ancien régime était collectiviste parce que les représentants d’une majorité de la population, dans leur misère, ne pouvaient faire autre chose que de se grouper avec un certain nombre de leurs semblables pour survivre. Avec le développement du capitalisme et des acquis sociaux, une majorité d’individus qui bénéficiaient des effets de ces processus ont pu subvenir d’eux-mêmes à leur besoin et l’individualisme a été inauguré ; sans que l’individualisme soit pire que le collectivisme forcé, peut-on dire, au vu de ses conséquences, qu’il rend le commun des mortels moins médiocre et constitue ainsi un progrès fondamentalement louable à l’égard de leurs manières de se comporter ? Une réponse négative à cette question est probablement aussi certaine que les privilégiés d’hier l’étaient par la naissance alors que ceux d’aujourd’hui le sont par la fortune. De fait, les mêmes causes continuent d’avoir les mêmes effets ; chacun poursuit ses intérêts égoïstes par des moyens divers ; la puissance des rapports de domination entre classes sociales varie, mais demeure conséquente ; ceux qui constituent l’élite changent, mais l’obsession intéressée des dirigeants reste constante. Affirmer le contraire revient à jeter sur la réalité un voile de trouble tissé par ceux qui sont désireux de faire croire que leur modèle sociétal se démarque avec une noblesse radicale de tous les autres, dans le temps comme dans l’espace.

L’auteur établit en base de cette analyse l’affirmation de Nicolas Machiavel, grand théoricien politique, que « Les hommes sont méchants et disposés à faire usage de leur perversité toutes les fois qu’il en ont la libre occasion. Jamais les hommes ne font le bien que par nécessité ». Dans l’absolu, il est possible de se découvrir des intérêts dans le mal comme dans le bien, mais la plupart des individus localiseront précisément leurs attentes dans le mal ; au mieux ne feront-ils le bien que s’ils ont un profit personnel à en tirer, comme un sentiment confortable de supériorité par rapport à un assisté, et si leur action n’implique pas de compromettre un tant soit peu leurs possessions tant morales que physiques. Seules quelques rares personnes comprendront que les intérêts les plus sophistiqués s’obtiennent par les actes les plus détachés de l’égocentrisme primaire.

Dans ce contexte, la considération d’une opposition entre égoïsme et sacrifice serait ainsi plus judicieuse qu’une vision manichéenne. Par conséquent, nous pouvons en déduire que c’est moins l’ardeur humaniste la plus exaltée qui a amené et fait perdurer notre système démocratique que la nécessité, pour les tenants de l’autorité, de sophistiquer la gouvernance des États au travers de la mouvance des réalités.

Ainsi, lorsqu’une élite expérimentée donne l’impression de céder à telle revendication populaire sous la pression d’un mouvement de masse susceptible d’entamer son pouvoir, son lâché de lest est sciemment calculé pour que les éventuelles réformes accordées pèsent sur l’opinion publique davantage par leur apparence que par leur pertinence. La reconfiguration du pouvoir politico-économique se réalise alors en faveur de la meilleure stabilisation possible de la position de la classe dirigeante, et donc de la maximisation de son intérêt, quand bien même la population aurait-elle gagné de précieuses prérogatives en matière de liberté au terme de ses luttes. Par ailleurs, la reconfiguration, par les élites, de leurs intérêts à court terme en intérêts à long terme aide à éviter le recours à une violence qui impliquerait un trouble social relatif, non favorable à la stabilité de la société et guère plus à leur maintien au sommet du pouvoir.

Ce constat ne s’applique évidemment pas exclusivement à notre civilisation occidentale, mais à n’importe quelle société en général. À ce propos, il convient de préciser dès à présent l’aversion de l’auteur envers tous les prétendus critiques de l’Occident qui prennent le parti de systèmes ou États potentiellement antagonistes à l’égard de leur patrie, par frustration ou ridicule ambition de puissance. « Le cercle des utopistes » ne fait l’éloge d’aucune nation du globe ; si l’ouvrage cible le bloc euro-américain et lui adresse la grande majorité de ses analyses et critiques, il va de soi que la raison en est la place principale que tient l’environnement direct de l’auteur et de ses lecteurs comme sujet d’étude, et non une quelconque préférence implicite d’autres contrées, comme en atteste l’extrait suivant :

Extrait :

Lorsque la répression et les formes de despotisme qui s’avouent sans complexe règnent majoritairement sur le globe, les carences dont souffre notre société en termes, entre autres, de protection des droits de l’individu et de reconnaissance intellectuelle offrent tout de même un résultat moins déplaisant. Aussi suis-je fier de faire partie d’une civilisation qui bénéficie d’un nombre impressionnant de réussites à son actif, mais fermer les yeux sur les défauts qui lui sont intrinsèques par indifférence ou sous prétexte que son palmarès lui éviterait toute critique crédible serait une attitude scandaleuse qui consisterait à se complaire dans la passivité face à une situation qui ne demande qu’à être améliorée par des actions aussi efficaces que pertinentes, et cautionnerait les crimes ou défaillances auxquels pourraient mener ses défauts persistants. C’est pourquoi il convient de cerner les mécanismes par lesquels s’orchestrent les artifices des politiques passées, de sorte à être en mesure de perfectionner celles de notre époque et de prévoir celles du futur. [...] si nous sortons de la bulle de béatitude qu’entretient tant l’indifférence vis-à-vis des grandes mouvances de notre civilisation que le trop plein d’orgueil de ses exploits passés, plutôt que de ne pas oser nous en déloger de peur de trouver, à l’extérieur, les affres insoupçonnées d’un monde dont la réalité briserait nos illusions candides, la conscience de plusieurs dangers s’impose assurément à nous en nous frappant de plein fouet.

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Un autre point important qu’il faut noter est que l’absence d’évolution du caractère des individus à travers le temps et la persistance de leur médiocrité en tant que trait dominant n’empêche pas les sociétés de se sophistiquer, que ce soit en vertu du développement de processus sociaux émanant des attentes d’un certain nombre d’individus qui sont d’une telle importance que le cours de l’Histoire les amène à être finalement satisfaites, ou des actions, dont les effets sont souvent ralentis par la résistance des masses grossières et des dirigeants cupides, de quelques esprits brillants.

La direction naturelle de l’Histoire est donc celle du progrès ; or, en notre temps, la priorité qui est donnée à l’individualisme sur l’intérêt général, aux valeurs marchandes sur l’intelligence et les valeurs qui devraient primer dans une démocratie digne de ce nom, est clairement un déni des grandes conceptions démocratiques dont l’application réelle garantirait le progrès sociétal qui devrait être celui de notre ère. Tout comme le nazisme, phénomène barbare dégénéré, a échoué en raison de son intention d’effacer brutalement de nombreuses avancées en matière de civilisation qui avaient été réalisées avant son avènement, la société marchande risque de choir en raison de la régression qui la caractérise par rapport à la grandeur de ce qui a pu être appréhendé de meilleur en notre époque. Il reste à savoir si cette chute se concrétisera de manière brutale et au niveau mondial, ce qui est probable ; bien que, dans un premier temps, les États du monde puissent se rejoindre sur des bases médiocres qui leur conviennent et soutenir ainsi dans le domaine politique l’uniformisation économique déjà presque réalisée, les fruits qui ne doivent pas être cueillis sont destinés à pourrir.

Le conformisme et le conditionnement des esprits, de Milgram jusqu’à la société de consommation.

La bêtise naturelle de certains citoyens, malheureusement nombreux, qui les incite à vivre dans la plus grande indifférence à l’égard des problématiques collectives, de l’intérêt général et des manipulations élaborées par l’élite dirigeante, ne suffit pas à contenter cette dernière, désireuse de renforcer et de façonner une autre tendance naturelle des masses : le conformisme. Celui-ci, qu’il relève ou non d’une teneur politique, contribue assurément à rendre les esprits plus maniables en les uniformisant.

D’importants relais de la parole de l’élite, des médias à l’enseignement, contribuent ainsi à conditionner les individus, des plus simples aux plus intelligents, afin qu’ils réfléchissent selon des raisonnements rigides, et éventuellement préalablement programmés par quelques-uns pour soutenir leurs vues de pouvoir. L’efficacité de ce résultat s’approche de celui de la modélisation des mœurs, dont la nature est influencée dans une optique bien déterminée par, entre autres, ce qu’impliquent notre modèle économique sur le plan de l’individualisme et une culture populaire dégénérescente ; le pouvoir doit s’assurer au maximum la supervision de la manière qu’a chacun de penser et de se comporter. Dans l’intérêt de la pérennité de ceux qui tiennent ce même pouvoir, il se trouve qu’il leur est préférable que les individus acceptent une condition d’automates déshumanisés rivés sur les tâches pour lesquelles ils ont été spécialisés plutôt que de régner sur une multitude d’êtres humains dignes de ce nom et libres d’esprit.

Extrait :

[...] C’est pourtant la conduite aveugle de principes étiquetés comme seuls valables qui prévaut, et ceux qui se targuent d’être les parfaits produits du système achètent compulsivement tout ce qui est à leur portée et pourrait leur permettre de « profiter au maximum de la vie tant qu’il en est encore temps », dans le but de réaliser le parangon qu’ils ont érigé en modèle de vertu. L’angoisse du néant qu’il y aurait après la mort (pour peu qu’ils se soient jamais posé ce genre de question existentielle) ne fait que renforcer cette envie de fuir en avant et de trouver des échappatoires à l’absence de réponses dans les plaisirs les plus divers.

Cela renforce la propension naturelle d’une majorité de la population, incapable d’envisager quoi que ce soit de plus évolué que ce qui est absolument tangible et visible, à cultiver une grande proximité avec le côté animal, primitif et instinctif du genre humain. Le domaine du matériel finit par être la seule dimension d’existence de l’individu, ce qui implique précisément qu’il adopte toutes sortes de comportements aussi grossiers que le niveau de sophistication de ce qui est matériel. La société de consommation contribue donc fortement à déconnecter l’homme de ses facultés spirituelles et à le pousser vers un égoïsme et une médiocrité toujours plus patents. L’inconscient collectif empoisonné par les valeurs inversées d’aujourd’hui peut alors conduire dès le plus jeune âge des gens intelligents et de bonne foi à un mode de vie qui ne correspond pas à leurs aspirations naturelles, ou les rendre malheureux parce que le système n’a pas de place appropriée à leur proposer. [...] Il est clair que le gâchis de génie et d’imagination qui pourraient contribuer à améliorer l’ordre actuel des choses est énorme.

Mecanopolis

Le livre « Le cercle des utopistes » peut être commandé chez Edilivre

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Laurent Lansmans

Notes :

[1] : Source : « L’histoire pour tous »

http://www.mecanopolis.org/?p=20243

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